Les bouts de bois de dieu et l'héritage juridique de l'Afrique coloniale.
- L'équipe JurisCulture
- 23 sept. 2018
- 4 min de lecture

Le roman d’Ousmane SEMBENE porte sur un pan entier de l’histoire de l’Afrique coloniale au lendemain de la seconde guerre mondiale. L’auteur est un écrivain sénégalais et phare de la littérature africaine.
Le livre s’inspire de faits réels portant sur la longue grève des cheminots du Dakar-Niger qui a eu lieu en 1947.
Les faits marquants du roman se déroulent entre Bamako, Dakar et Thiès.
Le roman est édité en 1960 par les maisons d’éditions Presse Pocket. Il comporte 379 pages divisés en trois parties distinctes : la première partie (Avant la guerre – page 13 à 48) ; la 2ème partie (la grève – page 49-349) ; la 3ème partie (Après la grève – page 354 à 379).
Le livre « les bouts de bois de Dieu » porte sur la révolte des cheminots utilisant la grève comme moyen d’action. Les cheminots demandaient une augmentation des salaires, des allocations familiales, une retraite, des congés annuels. Ils réclamaient des droits réservés uniquement aux travailleurs français.
Plusieurs thèmes sont mis en avant dans le roman : la révolte, la violence (multiples formes de violence faites aux ouvriers), l’injustice (présente partout – meurtre de trois grévistes à Thiès ; la famine (manque de denrées alimentaires) ; la trahison (M. Diarra, personnage aimé et respecté a repris le travail en trahissant les grévistes) ; la solidarité (entre grévistes et entre hommes et femmes) ; la discrimination raciale (les noirs travaillaient dans des conditions plus difficiles que les colons) ; la fracture de la société coloniale (d’un côté, il y a les quartiers huppés des colons appelés « Vatican » à Dakar et de l’autre, la « Médina », quartiers des colonisés) ; le courage (à l’instar de M. Bakayoko, leader de la grève à Dakar).
Le roman montre comment des gens ordinaires deviennent des héros le temps d’une grève mettant à l’épreuve force physique et mentale des grévistes devant faire face aux manques de denrée alimentaires, aux exactions et aux humiliations organisées par l’administration coloniale.
Certaines figures emblématiques parmi les colons ont joué un rôle décisif dans le roman comme M. Dejean, le directeur de la régie ; M. Edouard, l’inspecteur du travail servant d’intermédiaire dans les négociations entre la direction de l’administration coloniale et le syndicat des grévistes ; Isnard… Ils ont essayé de corrompre les dirigeants syndicalistes en utilisant de fausses promesses pour influencer les personnalités religieuses afin de faire culpabiliser les grévistes.
Parmi les personnages féminins ayant joué un rôle central dans la grève figure « Mame Sofi » qui brave la police en déclenchant un affrontement entre les femmes armées de bouteilles remplies de sable et des « flammèches ». Il y a aussi « Ramatoulaye » qui symbolise le courage (allant jusqu’à égorger un bélier afin de nourrir ses « bouts de bois de Dieu »). Enfin, le rôle joué par « Maïmouna l’aveugle » qui a perdu un de ses enfants durant l’affrontement n’est pas négligeable : elle s’est révélée leader dans le « comité des femmes ».
Au final, la grève décrite par l’auteur a permis de mettre en évidence le changement dans une Afrique de plus en plus décomplexée par rapport aux colons et l’émancipation de la femme africaine qui joue pleinement son rôle.
Les différentes revendications des grévistes ayant été satisfaites, le travail a repris. La victoire des grévistes sur l’administration coloniale montre l’amélioration des conditions de vie de l’homme colonisé et l’avènement d’une Afrique nouvelle.

Mais quelle relation peut exister entre ce roman et le droit français et africain ?
On l’a dit, c’est un roman qui s’inspire de faits réels survenus en Afrique occidentale française avant l’accession des Etats à l’indépendance.
En droit, le roman met en lumière, la violation des articles 1er et 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. D’une part, l’article 1er souligne : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ». D’autre part, l’art. 10 de la DDHC de 1789 précise que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. ».
En l’espèce, il y avait parmi les grévistes jadis ceux qu’on appelait les originaires des « quatre communes » du Sénégal considérés comme des citoyens français. Ils bénéficiaient des mêmes droits et devoirs que les français.
Paradoxalement, le droit applicable aux colons français ne s’applique pas à ces français originaires des quatre communes du Sénégal durant la construction du chemin de fer Dakar-Thiès-Bamako. Il y a donc là, une rupture d’égalité devant la loi.
Après l’accession des Etats africains à l’indépendance, ils se sont inspirés de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 en rédigeant la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981 à Nairobi (Kenya).
Tirant les leçons de certaines pratiques coloniales, l’article 5 de la charte interdit désormais la torture, les traitements cruels, inhumains et dégradants : « Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d'exploitation et d'avilissement de l'homme notamment l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdites. » De même, l’article 28 de la charte condamne toute forme de discrimination.
Lamine Tirera
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