Jacqueline sauvage : c’était lui ou moi
- L'équipe JurisCulture
- 22 oct. 2018
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 oct. 2018

Le 2 octobre 2018, la chaîne TF1 diffusait le téléfilm Jacqueline Sauvage, c’était lui ou moi, réalisé par Luc Rénier, retraçant l’histoire judiciaire tragique de Jacqueline Sauvage (jouée par Muriel Robin). 8 millions de téléspectateurs (32,2%) ont regardé ce téléfilm. On se souvient, l’affaire Sauvage avait passionné la France.Le 10 décembre 2012, Jacqueline Sauvage abat son époux Norbert Marot de 3 balles dans le dos : « Pendant cet instant très bref où j’ai tiré, je ne me contrôlais plus, c’est dans cet état de violence perpétuelle que m’avait poussé mon mari. » La veille, son fils Pascal se donnait la mort. Le 28 octobre 2014, JS est condamnée à 10 ans de prison pour meurtre. La Cour d’appel confirme ce jugement le 4 décembre 2015. Le 31 décembre 2015, 2 jours après avoir reçu les filles et avocates de JS, le Président Hollande accorde à la condamnée une grâce partielle lui permettant de déposer une demande de libération conditionnelle. Cependant le 12 août 2016, le juge d’application des peines de Melun refuse sa libération, lui reprochant de ne pas s’être suffisamment interrogée sur son acte ; ce jugement est confirmé deux mois après le 26 novembre 2016 par la Cour d’appel de Paris. En décembre 2016, les filles de JS réitèrent leur demande de grâce totale, que François Hollande accorde finalement le 28 décembre 2016.
Ce film est une fiction inspirée de l’acte désespéré de Jacquelin Sauvage. Il soulève la question non encore résolue de la légitimité du recours au meurtre du conjoint pour raisons de violences conjugales, et met en relief les difficultés pour la justice de répondre aux violences faites aux femmes.
UN FILM QUI PROMEUT LA LOI DU TALION ?
Certaines voix dont celle de Luc Frémiot, magistrat spécialiste des violences conjugales se sont opposées à la diffusion du film fiction diffusé par TF1 (Voir article de Aude Dassonville sur Télérama en ligne, Le téléfilm sur Jacqueline Sauvage vu par un magistrat : “Il sanctifie le principe d’une justice privée”, Publié le 02/10/2018).
En effet, le téléfilm risque-t-il de susciter une confusion sur la notion de légitime défense ? La légitime défense pourrait être perçue en l’espèce comme un « non-sens » en ce que l’on ne saurait la prononcer si le danger n’a pas été imminent et la réponse proportionnée.
DIFFICULTE POUR LA JUSTICE DE DISCERNER ET DE JUGER LES VICTIMES DE VIOLENCES
Il semble certain que la justice se trouve désemparée bien que dotée de moyens scientifiques de plus en plus performants pour dévoiler la vérité, les enquêteurs et magistrats se heurtant à la complexité des circonstances et des motifs ayant conduit ces femmes à la violence pour se soustraire de leur bourreau.
En ce sens, Luc Frémiot reconnaît que le téléfilm fiction sur Jacqueline Sauvage a l’intérêt incontestable de mettre en lumière le problème de l’incapacité pour les femmes battues de quitter le domicile conjugal. A travers son témoigne, le magistrat expose que lors des procès d’assisses, il est posé de façon sempiternelle la même question à ces pauvres femmes : « pourquoi n’êtes-vous pas partie ? », et la réponse est toujours la même : « pour les enfants ». Les chiffres parlent en effet d’eux-mêmes, permettant ainsi de mieux comprendre cette position incertaine des femmes à l’égard de leurs partenaires violents. Chaque année, en moyenne 130 femmes meurent sous les coups de leur conjoint ou de leur ancien partenaire intime (mari, concubin, pacsé, petit-ami), et 225 000 femmes sont victimes de violences du fait de leurs partenaires. Parmi ces femmes victimes, 19 % seulement déclarent avoir déposé une plainte en gendarmerie ou en commissariat de police suite à ces violences. Selon une enquête de l’INSEE, 3 femmes victimes sur 4 déclarent avoir subi des faits répétés 8 femmes victimes sur 10 déclarent avoir également été soumises à des atteintes psychologiques ou des agressions verbales (Femmes âgées de 18 à 75 ans, vivant en ménage ordinaire en Métropole. Source : enquête « Cadre de vie et sécurité » 2012-2017 - INSEE-ONDRP).
En outre, ce film montre parfaitement l’isolement dont sont victimes les femmes subissant des violences par leur conjoint, mais aussi et parfois le manque de discernement de la part des autorités pour les aider à cause de la complexité des circonstances. Le comportement de ces femmes est souvent contradictoire, ce qui n’aide pas les enquêteurs, comme le prouve le cas de Annie Slama, une psychologue condamnée à 5 ans de prison pour avoir tué son mari en raison de violences conjugales (Voir article Aux assises, cinq ans de prison pour une psychologue qui a tué son ex-mari violent, Par Morgane Rubetti, Figaro en ligne, Publié le 24/05/18). Cette femme allait régulièrement durant 20 ans déposer plainte à l’encontre de son mari pour violence mais retirait à chaque fois sa plainte. En même temps, les policiers au cours de l’instruction du meurtre, la décrivaient comme une personne intelligente, narcissique et manipulatrice ayant dissimulé l’identité de son mari défunt aux fins de transfert d’argent au profit de ses enfants et à son profit.
RETENTISSEMENTS POSITIFS DU TELEFILM
Malgré l’écho médiatique produit par le film, l’opinion publique est-elle vraiment plus sensible aux problèmes des femmes battues ? Luc Frémiot ose parler de risque d’« inflation émotionnelle » ayant pour effet de « réveiller momentanément » l’opinion comme le fit l’affaire Alexandra Lange, car l’impact médiatique s'avère malheureusement parfois insuffisant pour faire avancer la prise de conscience politique, législatif et judiciaire sur le cas des femmes battues. Il nous reste à espérer le contraire.
Jean-Luc Thiver-Joly
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