En mille morceaux (2018) et Le pardon (1992)
- L'équipe JurisCulture
- 19 oct. 2018
- 4 min de lecture

LES FILMS ET LEUR THEME COMMUN : LE PARDON
La réalisatrice du film en mille morceaux,Véronique Mériadec, ose parler du thème du pardon en justice, communément appelé « justice restaurative » ou « justice réparatrice ». Ce type de justice en France, a été introduite par la loi Taubira du 15 août 2014, mais se pratique depuis les années 70 au Canada. Le film met en scène la rencontre d’une mère avec le bourreau de son fils, mort sous les coups de cet homme. En 1977, Eric Gaubert assassine Olivier, l'enfant de Nicole Parmentier. Vingt-cinq ans plus tard, cette mère à la vie brisée donne rendez-vous au meurtrier de son fils qui vient de sortir de prison. Au cours de cette rencontre se mêleront les désirs contradictoires de vengeance et de pardon, chez une mère poussée par la volonté de comprendre ce qui a conduit cet homme à donner la mort à son enfant.
Cette histoire renvoie à un documentaire québécois dont le thème est tout aussi fort : Le Pardon, réalisé par Denis Boivin, sorti en 1992, retraçant l’histoire de deux parents ayant pu accorder leur pardon à deux hommes qui avaient violé et assassiné leur fille en juillet 1979. Le 3 juillet 1979, Chantal Dupont, 15 ans, et son petit ami Maurice Marcil, 14 ans, étaient pris à partie au niveau du pont Jacques-Cartier par Normand Guérin et Gilles Pimparé. Ces derniers violaient Chantal Dupont et agressaient Maurice Marcil avant de les jeter du haut du pont. Le journaliste Claude Poirier diffusait un témoignage de l’agresseur Normand Guérin sur le drame et s’opposait aux parents de Chantal ayant pu accorder leur pardon en indiquant que ce type de criminels ne mérite aucune clémence : «Je ne peux pas m'imaginer que les parents de ces enfants-là ont pu pardonner à des monstres semblables». Pour Guérin, «c'est une manipulation de l'intérieur» de la part des criminels. Il concluait: «Je préfère opter pour l'optique de l'oubli... mais d'un oubli sporadique» car les souvenirs demeurent.
La force spirituelle du père de Maurice Marcil pour sa part, témoigne que le pardon est un sommet difficilement accessible qui requiert un long processus. Le père exprimait en effet que les premiers temps après le drame, il fut comblé de douleur mais indique qu’avec son épouse, il a su transcender la violence du sentiment de revanche grâce à la foi. Les jours ayant suivi la disparition de Chantal, inspirés par le sacrifice d'Abraham à travers la Bible qui accepta de donner la vie de son fils à Dieu, le couple acceptait de rendre l’âme de leur fille à Dieu, et put ainsi pardonner aux meurtriers de leur fille.
LA PORTEE DU THEME : LE PARDON ET SON UTILITE EN JUSTICE
Ce thème renvoie à une question fondamentale : la justice restaurative peut-elle porter des fruits en justice ?
Il semble d’abord que pour certaines familles de victimes, le deuil ou l’acceptation du deuil ne peut advenir qu’après désignation et reconnaissance de l’auteur des faits par la justice. C’est l’idée déjà développée par Paul Ricœur, (Emission de radio sur le thème « La justice et le pardon » (diffusée en 2000 / France Culture) indiquant que dans les affaires de génocide et de barbarie dont le cas Pinochet, … « Il s’agit de dire qui est le coupable et de qualifier les actions comme criminel et de le dire. L’important est donc de nommer le criminel afin d’éviter toute disproportionalité liée aux peines par rapport au crime.» En l’espèce, les parents des victimes ont attendu le dénouement du procès, la condamnation et l’incarcération du coupable pour agir auprès du condamné. C’est ce que Monsieur Badinter exprimait en disant que l’« on ne peut en justice pardonner qu’un coupable, après que justice ait été dite, donc à un prévenu qui a avoué. » Ce film montre par conséquent que le processus du pardon ne peut être obtenu par l’auteur ou accordé par les victimes qu’après jugement.
Autant la grâce présidentielle, est une action unilatérale qui peut ne pas porter de fruit, autant le pardon peut s’avérer bénéfique pour les victimes et l’auteur des faits à condition qu’il existe un « lien intrinsèque entre l'aveu et le pardon », car celui qui demande le pardon doit avoir avoué, et inversement celui qui pardonne ne peut le faire que s’il lui a été adressé un pardon. A l’image de Patrick Dills au cours de son procès qui prononça des aveux qui soulagèrent et apaisèrent les parties civiles : « Je regrette du fond du cœur, depuis longtemps je voulais demander pardon aux parents de Philippe, je voulais leur dire combien j’ai horreur de ce que j’ai fait, et combien je souffre de ne plus pouvoir réparer. Je ne peux plus. » (Robert et Elisabeth Badinter,deux enfants de la République, Alain Frerejean, Mars 2018). Dans le film En mille morceaux, lorsque l’auteur avouera les faits et exprimera son repentir, il créera un lien puissant entre la mère de sa victime est lui qui transcende la relation purement charnelle. Aussi le pardon pour autrui a une « dimension insoutenable » essentiellement dévolu à la victime. « La quête du pardon est salut de l’âme et donne à ce type de recherche de la vérité une dimension singulièrement religieuse. » (Ricoeur, émission de radio sur le thème « La justice et le pardon » diffusée en 2000 / France Culture).
PARDON EN JUSTICE ET PAIX
Le sujet ouvre donc en substance les portes de la Paix. Aussi, dans le film-documentaire « le pardon » on remarque que chez les parents de la victime, l’action de rencontrer les criminels n’est pas assimilable au « syndrome de Stockholm », mais doit se comprendre comme un acte réparateur et de salut de l’âme, à l’instar de Robert Badinter (in "Les chemins de la connaissance" du 28/09/2000), pour lequel « le pardon est instant ultime de la justice, … apaise » et délivre.
Ces films nous font enfin réfléchir sur l’atrocité des actes humains et l’impossibilité humaine de les juger avec exactitude. Récemment, dans le procès d’Abdelkader Merah, Maître Dupont Moretti plaidait le retour des condamnés qualifiés par l’opinion de « djihadistes » en invoquant le devoir d’accepter leur pardon comme une justice « réparatrice » et comme la possibilité de « laisser le coupable devenir autre ce qu’il a été », en citant Hannah Arendt (op. cit.).
Néanmoins, pour revenir sur ce qui précède, le système judiciaire pourra-t-il un jour à l'image du Christ, pardonner les fautes des criminels, c’est-à-dire se substituer aux victimes, auxquelles appartient essentiellement ce processus ?
Jean-Luc Thiver-Joly
Comments